La brisure

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J. comme le prénom d’une jeune femme que j’accompagne, à l’allure juvénile, mariée et mère de deux enfants. J. veut grandir, se connaître et connaître le plaisir, mieux aimer son environnement, son mari, ses enfants. J. travaille avec moi depuis deux ans en individuel et en groupe continu. Nous sommes sur la question du lien. J. ne pleure pas, boude beaucoup, grogne, se « racrapote » sur les coussins, parle très vite, s’essoufle, J. me plaît ! J. ne, intelligente, belle, on te dit surdouée, je me dis « non-experte » avec les surdoués, tu veux trouver une thérapeute qui saurait mieux faire avec toi. Tu commences à sourire, à t’ouvrir… au lien, à moi. Et puis tu es partie, d’un coup d’un seul, un dimanche matin… Les 13 autres personnes du groupe explorent leur peur, pour l’accueillir en elles, la montrer à l’autre. Je remarque ta bouderie, ton silence, ta tête baissée et soucieuse. C’est ton tour, tu te lèves, marche vers moi, et comme une furie, oh, quelle stupéfaction ! – moi qui accompagne depuis le matin avec mon cœur et mon âme – tu cries ta haine, tu hurles que je te manipule, que je les manipule tous et toutes… C’est parti d’un coup, ai-je oublié ma posture de thérapeute ? Qu’est-ce qui me prend ? Je me mets à crier moi aussi que tu penses à ma place, que je ne me sens pas d’accord avec ton mouvement… Et tu t’es tue… définitivement. Voulais-tu éviter d’éprouver la séparation – tu parlais ces derniers temps de quitter le groupe, d’arrêter la thérapie – qu’ai-je touché de mes propres limites, nos histoires d’abus et de manipulations se mêlant… ? Quelle était donc ta peur à cet instant-là ? Tu as rompu et quand fut venue la séance du jeudi, malgré mes mots, malgré ma demande de ponctuer ce qui s’était passé pour toi, pour moi, de clarifier le chemin, cette séance dût-elle être la dernière, t’ai-je dit, tu n’es pas revenue…

 

Collomb Katouchka, « La brisure », Gestalt, 2016/1-2 (n° 48-49), p. 123-123. DOI : 10.3917/gest.048.0123. URL : https://www.cairn.info/revue-gestalt-2016-1-page-123.htm