Se séparer dans un couple ? Se différencier ? Quel regard ?

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Muriel Mounoury dans un article précédent évoquait la chambre à part ! Avec l’idée qu’elle n’est pas gage de séparation, comme l’idée générale pourrait le faire croire !

Je vais vous parler dans cet article du processus de différenciation à l’œuvre dans les couples…

La différenciation, c’est quoi ? Est-ce une séparation du couple ?

Je suis très fréquemment interrogée sur la question de la différenciation dans les couples. J’accompagne souvent ce processus que l’on ne doit pas forcément confondre avec un désir de séparation bien que cela en prenne parfois la forme. En tant que thérapeute du couple, je suis confrontée à cette problématique qui a un écho avec ce que j’ai pu vivre, peu ou prou, dans mes histoires de famille et/ ou de couple…

 

Faire couple, ça serait faire du nous, faire ensemble. Mais pas seulement !

Il arrive un moment au sein du couple de l’irruption de la différence.

Car le couple est en mouvement, sinon il est figé et devient malade.

Jean Paul et Anne Sauzède, dans leur livre pour les thérapeutes du couple et les professionnels de l’accompagnement « Pratiquer la thérapie du couple », évoquent le couple et sa manière de respirer, entre inspir et expir, entre des moments autour de son couple et pour son couple et d’autres moments où les deux partenaires, ou parfois juste un seul, cherchent à se différencier… Mouvements et désirs centrifuges qui alternent avec des mouvements centripètes…

 

Le couple qui a besoin de se distancier à un moment de sa vie, a eu au départ, comme tout couple qui se rencontre et se découvre, une période de proximité, appelée parfois fusionnelle, plus ou moins longue. ( statistiquement : 1 an, 3 ans, 7 ans…)

Cette période a permis de faire des projets, des projets à court terme, des projets à plus long terme… Le couple a besoin de projets pour prendre consistance et avoir une identité. Il a besoin de cohérence et de cohésion.

 

Il arrive cependant un moment où l’un des deux partenaires, -c’est rarement au même moment pour les deux-, sent en lui/elle le besoin « d’autre chose », comme une poussée intense de vivre autrement, parfois même de ne plus faire couple, « ça pousse fort », de se retrouver libre, de se rencontrer soi-même, de s’individualiser. Ce qui a été « vivre une osmose » peut devenir source de malaise, d’étouffement, de perte d’identité.

 

Qu’est ce qui favorise cela ?

Tout simplement, les étapes de la vie du couple !

Le chemin du couple n‘est pas linéaire…il est dans un mouvement permanent !

Un travail thérapeutique individuel peut favoriser aussi ce type de « poussée ». L’un des deux partenaires entreprend un travail sur lui-même pour croitre. Mais le couple va t il suivre ? L’autre partenaire reste parfois en plan… Il ne comprend plus, il est même dans le désarroi face à son/ sa partenaire qui ne fait plus cas de lui, qui a besoin de s’envoler ailleurs.

Parfois cela peut prendre le chemin de la liaison extra conjugale, qui est une manière de « dire » à l’autre, je romps le contrat que nous avions posé en terme d’exclusivité dans la relation, je veux vivre autre chose ect… Et je vais même t’en parler puisque nous avions décidé d’être transparent ensemble, de tout nous dire !

Et patatra ! tout s’effondre !

 

Cette différenciation peut être aussi source d’un mouvement profond vers davantage d’épanouissement du couple, certes d’un bouleversement ET aussi de maturité.

 

C’est le cas de Carol et Benoit qui reviennent me revoir, deux années après des séances de thérapie du couple. Ils ont fait une tranche de travail de 4 mois au cours de laquelle, ils ont repris confiance en leur couple, retrouver un projet d’ouverture à une sexualité plus riche, alors que Carol venait avec le désir d’avoir un troisième enfant, ce que ne souhaitait pas Benoit et ce qui faisait crise. Il y a eu là, une sorte de compromis acceptable à ce moment-là.

Et puis Carol a entrepris des séances de thérapie individuelle. Un an plus tard, elle a une liaison, pour le moment platonique mais forte affectivement, avec un collègue de travail qui est à l’opposé de son mari : cet homme est très excentrique, volubile, alors que son mari Benoit est très posé, réservé, voire distant ; ce collègue s’intéresse à des domaines culturels et spirituels que Carol découvre et qu’elle ne partage pas avec Benoit. Sous le couvert de leur contrat de mariage où ils ont souhaité la transparence, elle raconte tout à Benoit. Dans la séance, l’agressivité de Benoit est palpable. Il se sent trahi, trompé et son estime de lui-même est au plus bas.

Progressivement, tout en soutenant les souffrances respectives et les deux mouvements contradictoires, j’aide ce couple à prendre conscience de ce qui se passe, en particulier du contrat qui les lie, contrat qui est à revisiter, à réactualiser au bout de 15 ans ; ils sont dans un contexte différent, la famille est construite, Benoit ne veut pas d’autres enfants alors que Carol n’a peut-être pas fait le deuil de la maternité (elle a 36 ans) …

La présence du tiers est le symptôme de ce mouvement de différenciation chez elle, de ce désir de changement qui s’exprime à travers lui.

 

Il y a parfois des freins à ce mouvement en avant. Je vais le voir avec Benoit qui a une forme de rigidité dans sa manière de penser et d’être. Une trop grande rigidité chez les deux partenaires ou un seul peut être un des obstacles à la thérapie du couple. Car elle suppose une forme de fragilité psychique que nous ne pouvons pas toucher facilement. Je vais devoir avancer doucement, marche après marche, avec des étapes intermédiaires, je dois être vigilante au rythme de chaque couple, à ce qu’il peut changer ou pas, à ses limites.

J’avance donc à pas feutrés avec Benoit et Carol pour insuffler du mouvement, entre explications psychologiques (le couple est dans un continuum d’expériences traversant des cycles de vie, entre fusion et différenciation) et intégration du processus de différenciation qui s’origine chez Carol. Ce couple ne souhaite pas se séparer, leur énergie reste très forte entre eux malgré les remouds. Le tiers a aussi mis une forme d’intensité entre eux. Ils se parlent beaucoup, ils se disputent, ils font l’amour…

 

Parfois la différenciation nécessite une séparation des partenaires, même temporaire, que je vais accompagner. Elle va permettre de mettre de la distance afin que chacun puisse mieux sentir où ils en sont et ce qu’ils veulent vraiment. C’est le cas éventuellement de la chambre à part voire même de deux endroits de vie différenciés.

Dans de tels moments, le travail de thérapie du couple est plutôt soutenu, à raison d’une séance tous les 15 jours. Très souvent on assiste à une intensité nouvelle dans le couple, les partenaires se rapprochent alors même qu’ils ont si peur de se perdre…

 

En conclusion

Les deux partenaires confondent très souvent le processus complexe et délicat de différenciation avec un désir de rupture, une demande de séparation. Il n’y a plus de fluidité dans cette fameuse respiration dont parlent JPaul et Anne Sauzède.

Le processus fusion/ différenciation est un mouvement permanent répétitif et évolutif, un mouvement que nous considérons comme vital, dynamique.

Le couple va trouver une forme de stabilité dans ce mouvement vers l’autre puis à l’extérieur, il va trouver de la sécurité et de l’intimité en allant vers son/sa partenaire, puis de la nourriture en s’ouvrant vers l’extérieur.

Mais lorsque les projets individuels prennent le pas sur le projet du couple, l’homéostasie du couple se rompt. Le couple en déséquilibre est alors dans une désorganisation complète de ses repères.

Cette hypothèse fusion/différenciation découle des fondamentaux avec lesquels nous travaillons à l’Ecole du Couple : Un des moments clé, une des étapes importantes dans la vie du couple, est ce moment où un des deux partenaires a besoin de se différencier de l’autre, c’est un processus plutôt sain, un désir de croissance souvent bien difficile à vivre pour les deux parties.

En terme de temporalité, ce processus peut prendre beaucoup de temps de quelques mois à plusieurs années. En terme d’intensité aussi. C’est très éprouvant. Nous ne connaissons pas l’issue du couple, eux seuls vont sentir si l’énergie refait du « nous » tout en travaillant à des positionnements individuels différents d’avant cette crise.

Ce n’est pas « faire comme avant », c’est faire différemment ! Un défi !

 

Katouchka Collomb, septembre 2019