Partir de la parole vraie…

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Mon souhait d’écrire sur les liens entre la Gestalt et les apports de l’Université du Nous part de mon vécu des 3 journées d’Octobre 2017 à Bordeaux pour le rapprochement des deux associations SFG et CEGT en vue d’une « maison commune ». Il y a aussi mon élan du cœur pour mon frère, Laurent Van Ditzhuyzen, fondateur de l’UDN qui animait avec sa compagne ces 3 journées intenses, entre tension et relâchement. Il y a enfin la nécessité à mes yeux d’ouvrir mon travail de gestalt-thérapeute en individuel, en groupe et avec les couples, depuis 1995, à une dimension plus collective, plus globale insérant  le rapport à notre environnement politique et sociétal actuel.

Je suis allée rendre visite à mon frère le samedi 11 novembre 2017 dans les montagnes des Bauges et nous avons parlé ensemble ; je vais tenter de retranscrire l’essence de cet entretien.

K : Laurent, d’où viens-tu professionnellement ? D’où parles-tu ? Peux-tu décrire ton parcours de vie et ce qui t’a amené à la Gestalt puis à créer l’UDN ?

L : Je me considère comme un autodidacte. Je n’ai pas de parcours universitaire, ma façon d’apprendre est dans le faire, pas uniquement dans les livres, j’apprends de l’expérience et par l’expérience. J’ai un parcours éclectique et décousu, j’ai eu des métiers différents avant de créer l’UDN et de me sentir à ma place. Aujourd’hui j’ai peut-être une spécificité, j’ai surtout un fond de base artistique, ma fibre est dans l’artiste et la créativité, dans l’émergeant, connectée à ma vie au jour le jour. Très longtemps, j’ai été en rébellion par rapport au cadre, à la loi, aux règles et surtout à l’autorité. Je suis avant tout un entrepreneur.

K : Ta rencontre avec la Gestalt ?

L : Elle se situe avec toi. Je me souviens de vidéos que tu me montrais sur la Gestalt en groupe avec les Ginger. Nous étions en 1992. J’avais dans les 26 ans.  J’y ai perçu quelque chose de l’ordre de la liberté. La liberté est un mot phare dans ma vie. Dans la Gestalt il y a cette liberté. En rencontrant les écrits de Perls et de Goodman, je fantasmais des personnalités rebelles qui explosent le cadre, des hommes pas toujours orthodoxes. J’aime bien l’idée d’être issu de ça. Faire du positif de ses failles, de ses brisures.

Jeune, j’entreprends une thérapie, je suis installé sur l’île de La Réunion et je rencontre un gestaltiste. D’emblée, le thérapeute me convoque dans mon être entier et s’implique ; il m’invite à être dans le lien avec lui, dans le contact et cette convocation m’oblige d’une certaine manière à être en conscience avec moi. Mes thérapeutes et formateurs, durant deux années, seront le couple Francis et Agnès Bussa, qui pratiquent une thérapie intégrative. Je découvre le groupe et le travail émotionnel, qui me conviennent particulièrement, je me lâche dans l’expression de mes émotions, j’en ai vraiment besoin.

Très rapidement, je crée une école de formation à l’île de La Réunion et je fais venir les Ginger pour la sélection des candidats et organiser un 2ième cycle de Gestalt avec Gonzague Masquelier et Aline Dagut. La psychopathologie sera enseignée par Edith Blanquet et Patrick Colin.

K : Après ta formation, deviens-tu thérapeute ? A quoi utilises-tu ce bagage ?

L : J’aime surtout le groupe. Je ne vais pas tout à fait au bout de la formation, dans la mesure où je ne finis pas mon mémoire. Je ne deviens pas thérapeute individuel. Ce qui est vivant pour moi, est déjà dans le groupe, le collectif. J’anime des groupes de paroles, de développement personnel. Puis plusieurs années après, toujours à La Réunion, je crée l’Attribut, premier mouvement collectif qui développe par l’intelligence collective sa raison d’être « chercheurs en vie meilleure ».

Je reviens en France il y a sept ans et je travaille à la création de l’UdN (Université du Nous).

K : Je te découvre dans le vif de l’action au cours des 3 journées d’octobre 2017  avec les deux associations SFG et CEGT. Lors de ces journées, je découvre ta posture, ta manière d’animer un grand groupe, nous sommes 80 personnes environ, avec de fortes divergences, des blessures historiques, des tensions, des peurs…

Parle-moi des notions qui colorent ta posture aujourd’hui.

L : Ok, prenons quelques notions que j’ai utilisées pendant les journées d’octobre et qui sont issues du forum ouvert :

Le Papillon : c’est celui ou celle qui circule sans forcément contribuer activement ; il contribue à un autre endroit, il peut se poser tout seul ou dans un atelier, il est présent, il discute, donc il contribue de façon informelle ; il y a une prise en compte de la dimension informelle. Il s’agit ici de respecter le fait que chacun peut avoir une façon particulière de participer au processus d’intelligence collective.

L’Abeille et la notion de butinage : celle qui va d’atelier en atelier et butine, dans un atelier elle entend un truc qu’elle ramène dans un autre atelier…elle prend quelque part et le ramène ailleurs.

La Loi des deux pieds : si je suis quelque part et que je m’aperçois que je ne m’enrichis pas et/ou que je ne contribue pas, je « prends mes deux pieds » et je vais ailleurs, en responsabilité, sans culpabilité de quitter le groupe dans lequel je suis, et sans justification, je peux écouter et m’enrichir même si je ne contribue pas à cet endroit.

Ces concepts sont issus de l’Intelligence Collective du Forum Ouvert, qui parle de la souveraineté des individus (l’un des concepts phare de la gouvernance partagée). Si quelqu’un ne se sent pas à sa place, arrêtons de faire semblant. Nous sommes ici pour « bosser » ensemble et si tu t’ennuies tu peux aller faire un tour pour contribuer ailleurs sans faire semblant de t’intéresser. Il peut arriver des moments où on ne se sent plus dans le coup, où on éprouve de la tristesse, de la colère, ou bien juste on sent de l’ennui, nous sommes preneurs de tout ça. L’idée est de l’assumer et d’en faire quelque chose dans le mouvement collectif.

Il va s’agir de créer des relations vraies qui ne soient ni contre l’autre, ni pour l’autre, mais qui font avec l’autre. Même si ça passe parfois par un passage sans l’autre.

K : Personnellement j’ai adoré le papillon quand je me suis sentie un peu perdue ou plus à ma place. Je suis allée voir ailleurs sans me culpabiliser. Puis je suis passée à l’abeille qui se pose et construit quelque chose avec d’autres dans un atelier…

L : Ce sont des conditions importantes d’une relation authentique : tu ne te sens pas de rester, tu t’en vas en conscience, tu n’apprends rien ou tu sens que tu ne contribues plus, tu vas butiner ailleurs librement, chercher ailleurs. Tout a une place, toutes les personnes ici sont les bonnes. C’est un processus de liberté qui permet la parole vraie.

K : C’est un peu le on/off des groupes de thérapie. Souvent d’ailleurs les participants restituent ce qui se dit dans le off afin de l’explorer dans le on.

L : Oui, le off est tout aussi important que le on. On peut y ajouter la responsabilité, la conscience de l’autre et de ce qui se passe en soi, que la Gestalt appelle l’awareness, le processus dans l’ici et maintenant, la relation authentique, le parler en Je

K : Vas-tu faire un maillage des concepts d’intelligence collective et de la posture gestaltiste ?

L : Je vais utiliser ces outils dans une posture gestaltiste, c’est ma posture identitaire. Le gestalt-thérapeute est dans un processus d’humanisation qui est fondamental pour moi. Et je travaille aussi avec le concept de champ ou de situation. Je cherche à dégager une figure du fond, je pars de mon ressenti émotionnel et corporel et du ça de la situation et je prends en compte la responsabilité de chacun.

K : Jean Marie Robine dit : « Nous sommes créés par les situations autant que nous les créons, d’instants en instants ». Tu partages ça aussi ?

Autre point important, le travail des polarités, pour moi très libérateur. Je suis ça et son contraire, je suis un tout, nous faisons du « et » non du « ou ». Je n’enferme pas dans une grille diagnostique.  En Gestalt comme à l’UDN, on ouvre. Ce qui m’a marqué profondément, c’est Heidegger, la phénoménologie. J’observe, je pars d’une observation non interprétée. Je découvre, comme un enfant découvre. Il n’y a pas de jugement.  Qu’est-ce qui est présent sur le plan du phénomène ?

L’aspect phénoménologique, c’est que je pars de ce que j’observe mais n’oublions pas que ce que j’observe, m’affecte ! Je ne peux pas rester uniquement phénoménologique car je suis affecté.

K : Oui c’est pour moi le travail du « j’observe », puis « je sens », puis « j’imagine » que nous utilisons en Gestalt, en formation par exemple.

L : Oui, je suis dans le champ et en même temps acteur de la situation, donc j’observe, je ressens et j’en fais quelque chose. Je suis conscient que ma description de la situation reste interprétative car elle passe par mes filtres. D’où, pour nous à l’UDN, la nécessité de travailler à plusieurs pour échanger sur notre perception phénoménologique, et essayer d’obtenir une image de ce qui se passe qui soit la plus juste possible ou en tout cas construite à partir de plusieurs points de vue. Il y a à la fois le point de vue de chacun ET potentiellement le point de vue du groupe en tant que sujet.

Quand un groupe regarde une situation, par exemple quand on a regardé le conflit entre les deux associations, en octobre, leurs divergences, ce que nous appelons l’écoute du centre, c’est écouter les individus, non pas tant dans leurs jugements individuels (c’est bien, c’est mal, pour, contre…) mais plutôt à partir de chaque individu, chacun ayant un point de vue qui n’est donc pas la vérité mais seulement une partie de la vérité. Chacun a son point de vue et personne n’a raison. Chaque point de vue est légitime mais il n’est pas la vérité. Je suis dans une vision holographique qui enrichit la vision de la situation avec les expériences et points de vue de chacun. Cette ouverture permet l’émergence d’une solution et non pas de la solution. La solution ne nous apparait pas à partir d’un compromis ou d’une négociation entre les parties prenantes.

K : Durant les 3 jours que j’ai vécus en octobre, j’ai eu le sentiment d’avoir été  tout le temps en action. Avec des notions telles que l’engagement, la responsabilité, l’action et la créativité qui sont aussi chères à la Gestalt. Nous commençons le samedi matin dans le sensoriel, dans le ressenti corporel avec un travail de sculpture en binômes puis à plusieurs. Nous étions au départ dans quelque chose d’indifférencié, puis nous nous engageons, abeille, papillon ou autre, nous sommes à la fois souverain et responsable de ce que nous vivons, de ce que nous créons, jusqu’au retrait, la phase intégrative.

Tu nous as donc conviés à ce travail sensoriel, à quoi cela te sert-il ?

L :   Quand j’ouvre un processus à l’UDN, comme dans un processus de formation, il y a un début et une fin qui sont à respecter, il y a un cadre. Ce que j’ai proposé le samedi matin est né du processus de la veille, j’ai ouvert à un corporel d’abord individuel, puis en duo, puis collectif. Le sensoriel ne consiste pas seulement à mettre la personne en contact avec elle-même et avec les autres. Il va permettre un travail final qui est une sculpture sur le thème « pour / contre/ avec/ sans ». Ici je l’ai fait le second jour parce que la veille, le travail était arrivé à une forme d’impasse née d’une opposition pour/ contre. L’idée est d’ouvrir. Mon boulot consiste, par le corps et non plus intellectuellement, à amener les personnes à trouver une troisième voie qui est celle du avec et du et. Je voulais sortir de la confrontation frontale entre les deux associations et leur faire éprouver dans leurs corps la problématique puis cette troisième voie. Cela m’amène ensuite au grand cercle de parole où nous retrouvons le sujet. Là je leur donne le concept du consentement, à la différence du consensus espéré mais illusoire dans la situation présente (nombre de personne, temps imparti,…) qui souvent nous ramène au plus petit ensemble commun avec les renoncements et compromis que cela implique. C’est aussi sortir du vote majoritaire, sortir du fantasme du consensus, pour arriver au consentement où plus personne n’a d’objection, ce qui évince les préférences et donc les points de vue égotiques de l’individu au profit d’un consentement mature du nous. C’est la bonne solution ici et maintenant et non pas la meilleure dans l’absolu, parce que nous devons avancer. La phrase qui faisait débat était : « il en va de notre survie de faire œuvre commune ». Il me fallait avancer avec ce qui était présent.

K : Donc le travail sensoriel est là pour ouvrir à cette troisième voie dont tu parles.  Ce processus respecte des étapes, comme le propose la Gestalt-thérapie, en mettant en figure la responsabilité de chacun, l’autonomie que tu favorises, la souveraineté et la place de citoyen de chaque personne.

L : Dans ma pratique, il y a la notion de donner la responsabilité à chacun. Être cadrant tout en stimulant potentiellement la personne à remettre le cadre en question.

Je ne veux pas enfermer les personnes dans un cadre dont moi seul aurais les clés. C’est une position d’expert que je ne veux pas prendre puisque je travaille justement au développement de la souveraineté de chacun, notamment au regard de l’autorité. Le cadre est donc souple, non fermé et toujours contestable. Il ne fait pas forcément consensus. Si c’est moi qui représente cette autorité, j’ai besoin que les personnes s’approprient les choses et trouvent les clés de leur émancipation par rapport au cadre et à moi-même. Ainsi je suis là aux côtés des personnes, elles peuvent me questionner sur le cadre, ne pas être d’accord.  Nous existons ensemble et si tu me questionnes c’est dans un système qui nous inclut tous les deux. Ce n’est pas moi qui te permet quelque chose ou te l’interdit !

Bien sûr, il y a des règles à l’UDN, comme la bienveillance, le respect, la parole en Je…mais nous sommes un système qui tient le cadre ensemble. Le cadre est en coresponsabilité.

K : C’est à cet endroit que c’est différent d’un groupe de thérapie qui instaure des relations dissymétriques : D’un côté, il y a des figures dites d’autorité ou parentales ou vécues comme telles, de l’autre, les participants. Pour que naissent des relations en JE-Tu nettoyées des liens transférentiels et du passé, il va falloir du temps, le travail thérapeutique va y participer. Quand j’anime un groupe, j’ai un cadre qui assure la sécurité, la mienne et celle des stagiaires. Je me sens aussi responsable des participants/patients. Ce qui diffère sans doute de ta posture en tant qu’animateur de l’UDN.

Aujourd’hui, je travaille davantage avec un cadre en coresponsabilité et tu m’as beaucoup appris sur ce point : Chacun est responsable de lui et en tant que membre du groupe, il est aussi responsable collectivement de l’évolution des membres du groupe.  Il y a une prise en compte collective des réactions individuelles. C’est ce que tu proposes à l’UDN ?

L : Oui à l’UDN chacun participe à la responsabilité collective. Les réactions sont produites par un individu mais aussi par le groupe. L’UDN est une organisation auto-apprenante et autogérée, un système où chacun a sa place, la place de chacun est souveraine et en même temps je suis en interdépendance avec les autres, alors « je m’occupe de moi et je me fiche de l’autre », ce n’est pas possible car le groupe m’importe et me porte ! Le fait qu’il y ait du soutien est intéressant à condition qu’on ne rentre pas dans une prise en charge de type sauveur ou paternaliste car c’est exactement le contraire que j’essaie de développer.

K : Revenons au cadre de travail. Tu dis qu’il y a un cadre mais aussi que le cadre est là pour être remis en cause si besoin.

L : Pour moi, l’idée n’est pas que l’on sorte du cadre qui est tenu par le thérapeute. L’émancipation du cadre, si elle a lieu, doit se faire en conscience. Le cadre nous appartient. Ce que je développe est une co-construction et une co-responsabilité. Celui qui se révolte contre le cadre est le rebelle mais le rebelle n’est pas souverain, il est au contraire dépendant. Le but est plutôt que nous acceptions que je tienne le cadre autant que les autres en présence, il s’agit d’une acceptation du cadre et non d’une soumission au cadre. Nous sommes coresponsables. D’habitude, dans la thérapie, le thérapeute tient le cadre. Nous développons ici autre chose : Je reprends ma place de citoyen donc d’individu dans son entièreté, je ne donne pas toute la responsabilité du cadre à l’animateur, je ne me soumets pas au cadre non plus, sinon je perds ma souveraineté. C’est là la différence avec le groupe de thérapie où il y a d’abord des « enfants » en demande d’être aimés et accompagnés par des « parents symboliques », travail de réparation, de reconnaissance avec des personnes qui ont « un étage de plus qu’eux ». Ce que je questionne ce n’est pas tant que cela soit ainsi dans les groupes de thérapie, c’est que cela ne soit pas formulé par le thérapeute donc conscientisé par les thérapisants.

K : Un groupe de thérapie n’a pas la même fonction que les groupes que tu animes, même si parfois les personnes venant à tes groupes auraient besoin aussi de temps thérapeutiques ou souhaitent en faire l’économie…

L : A l’UDN, l’espace que j’ouvre est un espace où nous allons nous considérer adulte, à tort ou à raison. Nous tendons à cette exigence. C’est une situation sans hiérarchie : je me refuse à te sauver, je me refuse à te persécuter et /ou à te/me victimiser. Nous partons de ce postulat et nous allons déjouer nos postures de sauveur/ persécuteur/bourreau etc…  Alors je ne peux pas être ton thérapeute dans cet endroit. Nous pouvons aussi chercher en nous-même notre propre thérapeute, conscients que le cadre nous appartient.

Ainsi nous développons la dimension collective. Mon objet est de travailler ensemble. D’un côté, la personne va avoir à faire son chemin, je lui laisse de la place, par exemple je propose « le nuage de mots » qui est une place pour la parole même si elle et restreinte. Chacun peut dire, s’exprimer mais je ne le travaille pas ici. Nous écoutons tous, nous entendons. Toi, ta position de thérapeute c’est d’ouvrir un espace pour prendre en charge ça, moi je n’œuvre pas à ça même si je suis toujours sur le fil du rasoir. Je considère toutefois qu’il y a toujours un espace ouvert pour cela, au contraire des organisations dans lesquelles la dimension psychologique du Je n’est explicitement pas reconnue, parfois c’est juste implicite. C’est à mon sens, une erreur, je dirais même une « arnaque » ! On demande aux gens de ne pas venir parasiter le travail collectif avec leur Je, mais le Je souffre et va revenir en boomerang. Que l’objet du travail soit une question professionnelle ou personnelle, si on ne laisse pas de place à l’expression individuelle, celle-ci va insister et revenir ! Par contre, je ne vais pas traiter la problématique ici. C’est la raison pour laquelle j’ai créé un espace qui s’intitule : « Et mon Je dans tout ça ! ».

Il nous faut intégrer le fait que le Je doit s’exprimer et non être réprimé et en même temps qu’il nous faut arrêter l’hémorragie du Je si elle a lieu car ce n’est pas à l’organisation de la prendre en charge. C’est donner une place au Je tout en arrêtant les stratégies individuelles qui viendraient prendre toute la place. À cet endroit c’est très fin, on est sur le fil. Car si les personnes se coupent de leurs émotions, c’est qu’elles se coupent d’une partie d’elles-mêmes. Travailler avec les émotions des personnes est très puissant, riche, incontournable, c’est ce que fait aussi la Gestalt, c’est fondamentalement utile, mais il faut être conscient que ces émotions ne doivent pas prendre tout le champ ni le pouvoir dans l’organisation.

À certains moments, les gens vont sur le terrain thérapeutique, dans l’expression de leurs souffrances, alors que je n’ai pas ce contrat avec eux. Je ne vais donc pas explorer, creuser à cet endroit, comme un thérapeute pourrait le faire si j’ouvrais un espace à proprement parler thérapeutique. Moi je veux développer la souveraineté, je ne peux donc pas prendre cette place du thérapeute.

K : Peux-tu nous dire un mot de la participation consciente que tu pratiques à l’UDN et à laquelle tu nous as conviés durant ces 3 journées ?

L : L’une des manières de nous faire payer est la participation consciente. Chaque participant donne la somme qui lui semble juste en regard du travail fourni, de ce que cela lui a apporté*.  Elle nous met tous au travail : elle peut amener honte et culpabilité d’autant plus qu’elle n’est pas anonyme. Elle nécessite donc d’être assumée. En tout cas c’est une confrontation avec ce type d’affects et la personne reste aux prises avec elle-même en particulier sa honte. Personnellement je ne suis pas indifférent au fait que la personne vive ce genre de choses mais mon cadre n’est pas de la faire travailler là-dessus. Nous ouvrons toujours un espace de parole sur ce que cela génère. En octobre, nous avons ouvert et certaines personnes nous ont d’ailleurs reproché de passer du temps sur ce sujet. Nous travaillons avec ces paradoxes et l’idée est de les mettre en lumière…

Je qualifierais la participation consciente de modèle économique de la confiance. Je travaille sans savoir ce que je vais gagner. Je donne sans savoir ce que tu en feras. Tu donnes sans savoir comment je vais l’interpréter, le recevoir. Tu donnes, en parfaite responsabilité du prix que tu choisis, sans argumenter ton choix. Je reçois, en confiance que ton don est juste et en conscience, qu’il a fait l’objet de ton introspection à cet endroit.

Vrai, faux, peut m’importe ! La participation consciente n’appelle pas à se mettre d’accord, elle appelle à la confiance au delà de, elle propose de mettre de côté tout jugement, peur ou manipulation. C’est prendre le risque de la confiance que je peux développer en l’autre.

 

K : J’ai pratiqué avec toi la participation consciente quand tu co-animais avec moi mes groupes continus. Pendant deux années et demi, il n’y a peut-être pas eu de la honte mais une forme de culpabilité quand, les honoraires que je te donnais n’étaient pas les mêmes d’un week-end sur l’autre. Je me disais « va-t-il se demander pourquoi je le paie davantage ou moins ? Est-ce dû aux nombres de participants (Lien avec la réalité) ou au sentiment qu’il a été moins présent avec moi ou avec les participants, qu’il a moins bien « bossé » ? Ai-je eu davantage de frais (Lien avec des éléments factuels) ?  Cela m’a mise au travail sur toutes ces questions ! Dis ainsi, je vois bien que je ne reste pas à ma place, je me mets à la tienne en imaginant ce que ça te fait ! Si je me centre sur ce que je vis, ça me fait travailler sur mon ego, mes peurs, mes freins à donner et à recevoir, mon « avarice », mes résistances !

L : Mon problème est en tout cas d’accueillir ce qui arrive. Moi aussi je suis en travail sur ce que ça me fait ressentir. Cela permet de regarder de plus près l’impact et les conditionnements que nous trimbalons au sujet de l’argent, de la valeur, de notre rémunération, du donner et du recevoir et tellement plus encore…

K : Personnellement, en tant qu’accompagnante gestaltiste, je me sens dans une posture et une manière d’être au monde politique en permettant aux personnes d’élargir leur champ de conscience aux situations. Je les soutiens dans leur capacité à y faire face, pour, comme toi à l’UDN, contribuer à rendre le monde plus solidaire, moins violent… Comme le dirait ton ami Pierre Rabhi, ce n’est peut-être que ça mais c’est essentiel.

C’est Laura Perls qui écrit : « Le travail que j’effectue est un travail politique. Quand j’œuvre avec des gens pour qu’ils pensent de manière autonome et s’extraient de la confluence avec la majorité, c’est politique. Cela a de l’influence même si nous ne pouvons travailler qu’avec un nombre limité de personnes. »

J’aime beaucoup la façon dont tu parles à un groupe, il y a quelque chose de vivant, de simple, de chaleureux, tu parles avec des mots forts, des mots puissants, un langage un peu trivial parfois, le langage de l’inconscient peut être, celui qui se dit à l’intérieur de chacun d’entre nous mais qu’on n’ose pas dire… et tu es écouté par 80 personnes, on aime ou on n’aime pas mais ce que tu dis ne laisse pas indifférent. Tu es très attentif à ce que tu ressens tout en ouvrant à l’autre dans un contexte de responsabilité, de tolérance, de complexité pour construire ensemble.

Et pour finir…j’aimerais souligner le courage de toutes les personnes qui ont osé se lancer dans cette démarche en créant la Maison Nouvelle, mes collègues qui, avec persévérance, ont participé à cette nouvelle manière de voir la réalité et les possibilités de la réalité à plusieurs.

Merci Laurent.

 

Katouchka Collomb Van Ditzhuyzen, psychologue clinicienne, Gestalt-thérapeute du couple et de la personne (Lyon et Ain)

Adresse : 275 rue du four, 01580 Matafelon granges

Laurent Van Ditzhuyzen, Gestalt praticien, fondateur de l’UDN

Adresse : Lieu-dit Broissieux, 73340 Bellecombe en Bauges

 

Résumé : L’auteure, gestalt-thérapeute, interroge son frère fondateur de l’Université du nous, qui a animé les journées d’octobre 2017 rassemblant 80 membres des deux associations gestaltistes, la SFG et le CEGT. Elle interroge successivement son parcours personnel et professionnel, sa rencontre avec la gestalt et la création de l’UDN, les notions qui colorent sa posture issue de l’intelligence collective et leur maillage avec la gestalt, sa posture de travail telle qu’elle se révèle durant les journées d’octobre, les notions de liberté, de responsabilité, de consentement, de phénoménologie, de participation collective ouvrant à un monde de courage plus solidaire et humaniste.

Bibliographie :

 

« LA CONVIVIALITÉ »

Ivan illich, éditions Seuil, 2003 (1e parution 1973) , 158p.

« OU VA LE MONDE ? »

Edgar morin, L’herne, 2007

« INTELLIGENCE COLLECTIVE : la révolution invisible »

Philippe Drouillon et Jean-François Noubel

http://www.thetransitioner.org/wikifr/tiki-index.php ?page=La+r%C3%A9volution+invisible

« UNE THÉORIE DE TOUT: Une vision intégrale pour les affaires, la politique, la science et la spiritualité»

Ken Wilber, 2014.

« LA DÉMOCRATIE SE MEURT, VIVE LA SOCIOCRATIE »

Gilles Charest, Centro Esserci, 2007

« LIBERTÉ & CIE : Quand la liberté des salariés fait le succès des entreprises »

Isaac Getz, éditions Champs essais.

TEDX : https://www.youtube.com/watch?v=9oZUMzQDaw8

Blog: http://liberteetcie.com/

« REINVENTING ORGANIZATION : Vers des communautés de travail inspirées.»

Frédéric Laloux, éditions Diateino, 2015.

Vidéo: conférence en Français, 01h43

https://www.youtube.com/watch?v=NZKqPoQiaDE

« DU JE AU NOUS »

Thomas d’Ansembourg, éditions L’homme Eds De, 2014.

« LA SPIRALE DYNAMIQUE. COMPRENDRE COMMENT LES HOMMES S’ORGANISENT ET POURQUOI ILS CHANGENT.»

Fabien et Patricia Chabreuil. Interéditions, 2005.