Le tiers sexuel comme symptôme

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Cette réflexion a pris forme après quelques années de recul et de pratique d’accompagnement des couples. Réfléchir, penser puis écrire me permet d’avancer. Je vais tenter de mettre en figure que le tiers sexuel, quand il vient se dire dans la demande d’une thérapie de couple, révèle « autre chose » qu’une affaire de sexualité.

2Personnellement, la « trahison-tromperie » m’a profondément affectée et a occasionné une vive douleur. L’attachement à l’autre s’est effondré avec son cortège d’affects violents. Le travail personnel, les formations et perfectionnements m’ont aidée à cet endroit.

3En tant que thérapeute du couple, ma fonction est entre autres de contenir la violence qui circule dans le couple. Mon cadre actuel est de travailler toujours avec les deux personnes en présence. La thérapie du couple n’est pas une thérapie brève centrée sur le symptôme qu’il faudrait éliminer ; néanmoins sa durée est plus courte qu’une thérapie individuelle. Toutefois pour grandir, il arrive que le couple ait besoin d’un temps plus long.

1. Qu’est-ce qu’un tiers dans le couple ?

4Nous le savons bien, le tiers est nécessaire voire indispensable pour décoller de la fusion et permettre une séparation constructive. Il crée une respiration, un espace de jeu, une aération, il impose de prendre du recul. Dans le couple, il prend des formes diverses, ainsi il est loisir, comme la pêche ou la randonnée chez l’un, la couture ou la peinture chez l’autre. Il peut revêtir aussi la forme de l’activité professionnelle. Les enfants peuvent également faire tiers. En définitive, tout ce qui se place ENTRE les membres du couple, qui vient à la fois les nourrir et les séparer, fait tiers. De même, les confidents (parents, amis), à qui les membres du couple expriment parfois ce qu’ils n’arrivent pas à dire à leur propre conjoint. Ces confidences parfois excessives peuvent faire intrusion dans l’intimité du couple. Effectivement, si le tiers permet l’ouverture, il y a aussi des tiers qui ferment, enferment. Chacun des partenaires vivra à sa manière les choses, selon des paramètres divers, l’histoire et la personnalité de chacun, l’histoire des couples précédents, le moment particulier de la vie du couple.

5Le thérapeute amène un regard en surplomb et devient une sorte de partenaire dissymétrique du couple en difficulté ; il crée un espace-tiers dans le couple en crise afin de l’aider à y voir plus clair.

6Ainsi le couple, après le temps de la fusion, aurait-il besoin, dans sa quête de différenciation, de tiers ?

7De ce point de vue, l’infidélité, alors qu’elle apporte son lot de souffrance, ne pourrait-elle pas être malgré tout au service du couple ?

2. L’arbre qui cache la forêt : Le tiers sexuel, une bombe !

8Dans nos cabinets, c’est peut être exagéré de croire et de laisser croire qu’un couple doit vivre dans une fidélité absolue ou que tout tiers sexuel viendrait parler d’un dysfonctionnement. Cela confirmerait à cet endroit une croyance, qui n’est pas la mienne, qui conforterait une morale sexuelle dominante « chrétienne et bourgeoise ».

9Dans mon expérience avec les couples, le tiers sexuel est vécu comme une « bombe », quand il fait intrusion dans la vie du couple. Quand on touche à la sexualité, au corps, à l’intime, l’être humain semble très souvent farouchement malmené, jaloux, blessé. Ce qu’il partage avec un(e) partenaire sur le terrain du sexe et de l’amour, il ne veut pas le partager avec quelqu’un d’autre. Il a besoin de se sentir unique, avec un sentiment d’exclusivité et de possessivité. (Ce n’est pas une généralité, j’ai aussi travaillé avec des couples qui pratiquent par exemple le « poly-amour » et qui vivent les choses différemment, mais ce n’est pas ici mon propos). Alors, est-ce inhérent à notre culture, propre à nos mœurs, nos croyances, nos représentations ? Ou est-ce inné, ancré dans nos cellules, notre génétique ?

10Quand le couple vient en thérapie avec cette souffrance, il a besoin d’exprimer sa douleur, sa peine, sa colère, son désespoir ; le partenaire trompé parle de « tsunami », de tremblement de terre, de « coups de lance » dans le corps, le cœur et l’âme. Des mots extrêmement triviaux se crient dans mon cabinet ; je dois les supporter au sens de les tenir, puis border, contenir afin que le travail ne se limite pas aux invectives et puisse se poursuivre de façon constructive. « Tu es un en… », « C’est une p… », « Salaud… ». Ces mots qui sortent des tripes, comme on dit, pour dire la violence innommable.

Qu’est-ce qui rend le tiers sexuel tant dévastateur ?

11Je fais l’hypothèse que le tiers sexuel n’est pas le problème : il est un symptôme amené par le couple. C’est déjà un premier point que je nomme pour les aider. De quoi s’agit-il alors ? De quel problème ce couple nous parle-t-il quand il évoque la présence d’un tiers sexuel actuel ou passé ?

12Si je parle de « tiers sexuel » alors que le couple parle de trahison, d’adultère, de tromperie, de relation extra conjugale, c’est pour nommer l’adultère d’une façon qui me permet de rendre compte de la problématique relationnelle du couple et de sortir d’une perception morale des choses. Personnellement, la thérapeute du couple que je suis n’est pas là pour juger de quoi que ce soit ni d’ailleurs d’avoir le projet que ce couple reste ou pas ensemble. Je parle souvent de « relation extérieure » pour nommer l’adultère.

13Je pars de l’hypothèse qu’être « trompé » ne se fait pas par hasard et qu’il y aurait une coresponsabilité. Celle-ci dans l’« adultère » est cependant une question délicate. Il semble qu’elle existe dans la problématique du couple, mais que celui qui est trompé n’est pas responsable du fait que son conjoint a choisi cette réponse-là au problème. Autrement dit, les conjoints sont coresponsables de la question (ou du problème) mais pas de la réponse (ou du symptôme) que chacun lui donne.

14La gestalt-thérapie travaille avec cette notion de responsabilité commune. Dans ma clinique, tout en soutenant la souffrance de la personne « trompée », je vais petit à petit réintroduire, replacer le symptôme au sein du couple. Sans minimiser la souffrance, je ne la maximise pas non plus ni ne la travaille individuellement. Par contre, je réintroduis toujours dans le champ, avec élégance et délicatesse, la responsabilité et l’implication des deux partenaires. « La rencontre extérieure » vient comme le signal d’un problème, au même titre que la dépendance à l’alcool d’un des deux ou une violence conjugale. Alors, à travers ce symptôme, quel est le changement qui vient se dire au sein du couple ?

3. De la fidélité…

15Être fidèle ? Quelle est cette notion qui semble relever d’un autre temps ? La fidélité sexuelle est pourtant un fondement de la plupart des couples. Elle est posée comme un pilier. Mais à quoi sert-elle ? La fidélité est aujourd’hui une exigence d’exclusivité. C’est souvent le contrat implicite. Finalement faire couple c’est créer un nouveau territoire qui n’appartient plus en propre à chacun. Ce territoire est composé de l’intimité des deux partenaires, notamment de leur intimité sexuelle, de leurs fantasmes, de leurs rêveries même parfois. Qu’en est-il alors de leur passé sexuel ? Restera- t-il discrètement gardé ? Et la masturbation alors ? Le plaisir solitaire ? Et qu’en est-il des jardins secrets ? Car si le couple a besoin d’être contenu et protégé pour exister – le contrat de fidélité préserverait la sécurité du couple – le couple a aussi besoin d’échanges avec son environnement pour se nourrir. Il va même mesurer sa solidité et solidarité en se confrontant à d’autres rencontres… Alors entre un repli frileux et une ouverture trop grande, voire intrusive, que va choisir notre couple ? Quels risques va-t-il prendre ?

4. De l’adultère…

16Dans certaines cultures, comme au Sénégal, l’adultère encore appelé « le deuxième bureau » n’est pas du tout jugé négativement. Les hommes sont polygames. Je peux aussi évoquer un couple que j’accompagne, Paule et Benjamin, qui pratiquent de manière contractualisée le « poly-amour » (plusieurs partenaires), même s’ils se privilégient. Par contre, ils sont venus me voir lorsque Paule a souhaité avoir un enfant avec Benjamin. Le poly-amour devenait difficilement conciliable avec le projet de parentalité.

17En général, l’adultère est un terme péjoratif ! On peut le décrire comme un passage à l’acte qui est de la responsabilité du partenaire ayant entamé une relation extra-conjugale. La coresponsabilité dont nous venons de parler est le plus souvent non conscientisée. Au cours des séances de thérapie, je vais travailler sur le contrat que le couple a passé ensemble souvent implicitement, pour le rendre plus explicite. Le contrat se pense et se dit ouvertement à l’issue du travail. Il va être exploré comme étant suffisamment souple ou trop rigide, à réviser ou revisiter.

18Avec la notion du temps : pourquoi maintenant cette crise arrive-t-elle dans la vie et l’histoire de ce couple ?

19Dans le fond et dans l’idéal, le contrat de confiance pourrait être : « Nous sommes libres d’aimer quelqu’un d’autre et nous décidons de rester ensemble ». Mais en figure, qu’en est-il ? La réalité est souvent plus complexe.

5. Des pistes de travail… pour comprendre ? Pour ouvrir ?

20Comprendre : il faudra tout d’abord, contenir, soutenir les souffrances puis comprendre.

21Dans l’élaboration, le moment de l’arrivée du tiers sexuel sera exploré. J’ai remarqué que c’est en raison de son histoire que la personne met en scène un troisième personnage entre lui (elle) et sa (son) partenaire. Pour la personne qui vit un lien extérieur à son couple, nous allons peu à peu comprendre que c’est pour elle, à ce moment-là, une nécessité psychique vitale, passant par la sexualité, même si celle-ci n’est parfois qu’un écran. Pour la personne trompée et abandonnée, il y a une blessure narcissique et souvent aussi une répétition de son histoire. Cette blessure est d’autant plus insupportable que l’insécurité intérieure est grande. Comme dans tout traumatisme, les bases archaïques sont réactualisées face à la violence ressentie avec angoisse d’abandon et/ou d’intrusion.

22Pour découvrir le problème caché derrière le symptôme, je vais m’orienter en m’appuyant sur des hypothèses, sorte de bordure me permettant d’aller dans une direction et de ne pas coller au symptôme.

6. Joan et Adeline ou la princesse et son serviteur :

23Joan et Adeline forment un jeune couple d’une trentaine d’années, avec deux enfants en bas âge. Ils ont quatre ans de vie commune. Adeline est très imprégnée de sa culture guadeloupéenne, de valeur de la famille. Très jolie femme séduisante, voire provocante, « une belle black » comme elle s’entendait dire. Après un an de vie avec Joan, elle devient presque obèse au moment d’être mère. Lui, un beau jeune homme intelligent et dévoué, très fier d’avoir pu séduire Adeline, cache un grand besoin de reconnaissance qu’il ne conscientise pas. Il est avant tout attentionné pour sa femme et leurs deux petits enfants. Ayant créé sa propre entreprise, il travaille beaucoup. Adeline s’arrête de travailler à la naissance des enfants. Ils viennent me voir pris dans la tourmente de la tromperie de Joan.

24Leur rencontre se joue essentiellement au niveau du paraître, – ils sont tous deux très investis sur le plan de leur image narcissique –, leur couple sert cet idéal. Très vite, ils fondent une famille. Adeline va s’impliquer fortement pour ses deux enfants. En parallèle, Joan a une liaison avec une autre jeune femme et trouve auprès d’elle du réconfort psychologique plus que sexuel. En tant que symptôme, le tiers sexuel révèle une distance entre Joan et Adeline, et c’est en séance que nous allons identifier le problème : ce couple prend conscience de son besoin de grandir, de sortir du couple parental qu’il est devenu très vite, pour retrouver un vrai couple conjugal. La valeur de la famille prenant toute la place, Adeline ne sait pas bien s’intéresser à Joan alors qu’il lui est totalement dévoué, jusqu’à ce qu’il découvre son besoin d’être écouté ! Son regard ira vers une autre femme qui saura à ce moment-là le regarder et l’écouter.

Comment vais-je accompagner ce couple dans cette blessure ?

25Je vais tenir compte de la souffrance de chacun et traiter aussi la blessure du couple ; je fais alliance avec eux pour les rejoindre. Mon objectif est de remettre du mouvement et d’être attentive à la direction qu’il prend. Le travail va être beaucoup plus complexe qu’en thérapie individuelle. Développer des hypothèses, des pistes de travail et m’y tenir va m’aider face à la complexité. Je m’inclus dans le système-couple puis assez rapidement j’apprends à m’exclure, je les guide vers plus d’autonomie à partir de leurs compétences. Cette dialectique d’inclusion et d’exclusion a été un vrai challenge.

26Joan et Adeline découvrent leur problématique de « frontières » dans un processus de différenciation : comment chacun prend conscience de ses besoins, de son espace personnel sans faire ombrage à l’espace du couple et à celui de la famille ; comment Adeline a pris quarante kilos en devenant maman ; (l’obésité d’Adeline lui permet de se protéger, constituant bien une frontière entre elle et l’autre). Comment elle les a gardés, alors qu’elle était une jeune femme mince très regardée par les hommes ; comment cela va impacter ce couple d’autant plus que rien ne s’élabore entre eux ; comment cette jeune femme à l’allure sexualisée au début – c’est ce qui a séduit Joan – souffre en même temps de vaginisme et ne peut devenir maman qu’au prix de cette castration.

27Je vais tenter de traiter ces symptômes : la relation extérieure pour Joan, le vaginisme et l’obésité pour Adeline, en les réintroduisant dans le couple avec une nouvelle dynamique de vie.

28Pour ne pas me laisser enfermer dans les symptômes, je vais ouvrir à d’autres paysages et décliner comment ils se parlent ou plutôt comment ils ne se parlent pas, comment ils s’occupent des enfants, comment ils gèrent l’argent – Adeline dépense trop aux yeux de Joan – comment ils auraient besoin de parler de leur engagement ensemble et de fait, du contrat de fidélité, d’un mariage ardemment souhaité par Adeline et peu par Joan.

29Dans ce couple très fusionnel, comment définir les espaces communs et différents ?

30La problématique de l’engagement les ouvre à un nouveau questionnement.

7. Mylène et Tom, le couple qui se voulait « parfait et uni pour toujours »:

31Ils se sont rencontrés vers l’âge de dix-huit ans et ont autant d’année de vie commune. Un couple en réalité peu construit avec des introjections parentales fortes (les valeurs du travail, l’engagement pour le meilleur et pour le pire, la fidélité dans le mariage, la valeur de la famille, l’idéal d’un couple pérenne). C’est leur première histoire d’amour. Et ils se marient très vite.

32Souvent, ces couples précoces qui n’ont pas ou très peu vécu d’autres histoires d’amour, ont besoin, à un moment particulier de leur vie, de faire le point, de revoir leur contrat de sécurité et d’engagement, via l’évolution de leurs besoins respectifs.

33Quand Tom et Mylène viennent me voir, Tom a une liaison avec une femme de cinquante ans, il en a trente, une femme avec qui le sexuel est au premier plan. Cela fait « une bombe » dans le couple. Dans la première séance, Tom explique très rapidement qu’il se sent frustré avec son épouse qui est elle-même très réservée dans sa sexualité. Effectivement, Mylène nomme sa soumission à son mari sur ce plan-là. Pour elle, les tabous sont très présents, sans désir véritable ; nous pourrions dire qu’elle a une sexualité rétrécie. Pour Tom, sa sexualité semble pulsionnelle et il se vit pleinement homme avec l’autre femme. La souffrance est très forte au point que Mylène veut se séparer, malgré ses jeunes enfants et ses valeurs. Ce qui est violent pour elle, ce sont surtout les mensonges de Tom, d’autant plus qu’elle attache beaucoup de valeur à la transparence et à l’honnêteté.

34Ce couple est donc en pleine crise, avec, chez Mylène, un fort désir de séparation. Tom a peur. Chaque partenaire est en survie. Il s’agit pour moi d’aller à la fois rapidement sans me précipiter pour autant ; je vais même chercher à ralentir pour élaborer une hypothèse.

35Je propose de les recevoir tous les quinze jours tant la souffrance et l’intensité émotionnelle sont grandes. Dans le contrat que je fixe, j’ai demandé de suspendre « la relation extérieure ». Tom accepte. A chaque séance, je vérifie si cela tient ou pas afin que l’énergie se concentre au bon endroit. Si je revisite ce contrat posé à chaque début de séance, c’est pour valider l’engagement du couple dans le travail.

36En travaillant à partir des cercles d’appartenance, en remontant à travers les âges et les couples qui ont entouré fantasmatiquement ou réellement ce couple, au travers de leurs idéaux, Roméo et Juliette, de leurs croyances, nous découvrons des rebondissements. Le génogramme va leur permettre de regarder quelles sont leurs blessures communes, celles liées à l’angoisse d’abandon, et quelle loyauté ils ont vis à vis des couples parentaux idéalisés. Les choses vont se transformer après un parcours où la violence pourra se dire, en ma présence comme tiers. Ils vident les « poubelles du cœur » !

37Au cours d’une crise, le couple souhaite souvent que tout « rentre dans l’ordre », mais ce couple va faire l’expérience que ce ne sera plus « comme avant ». S’il y a une blessure à intégrer, un nouveau mouvement se dessine, cela se transforme en une nouvelle forme : la gestaltung du couple.

38Le tiers sexuel a été une sorte d’appel au secours, un cri lancé face à un déséquilibre ouvrant à une crise qui est exigence de changement. Cette crise est une occasion pour eux de regarder comment ils veulent (ou pas) continuer et chercher une autre forme à inventer ensemble. S’inscrivant dans un processus de différenciation, avec le temps de la désillusion, notre couple a besoin d’une nouvelle homéostasie. Mylène subissait sa sexualité, elle prend conscience qu’elle ne peut pas « parler vrai » à son mari, ni à elle-même d’ailleurs. L’authenticité entre eux va naître enfin de cette blessure. Comment vont-ils l’intégrer puis se sécuriser avec une nouvelle manière d’être ensemble ?

39A moins qu’il ne se sépare, et c’est aussi un mouvement, le couple peut continuer à avancer mais toujours différemment. Lorsqu’il se sépare, c’est que l’un des deux ne peut supporter la trahison ou que celle-ci révèle un dysfonctionnement tel que la personne, qui a eu besoin de vivre autre chose, prenant conscience de ses besoins jusque-là cachés, se retire. Notre dernier exemple de couple montrera cette possibilité-là. Dans tous les cas de figure, il y a mouvement.

8. A partir de ces situations, quelles sont les issues ?

40Joan et Adeline réussiront-ils à créer ce couple engagé que tous les deux souhaitent consciemment ? S’ils forment un couple parental très investi, ils ne sont pas encore dans un projet de vie à deux même si la famille a une place de choix. Je travaille avec eux sur cet intime qu’ils ne connaissent pas encore. J’ignore le devenir de ce couple qui s’est rencontré sur de l’illusion, de l’image : une « belle black » pour un homme « parfait » ! Au gré des séances, une douzaine, ce couple décidera de continuer ensemble avec des besoins plus ajustés pour chacun d’entre eux. La parole circule davantage. Je ne parlerais pas d’un changement de communication mais d’interaction. Au début de leur travail, Joan et Adeline ne se parlent pas. Ils me parlent. Je vais travailler à mettre de la circularité. Ils vont poser un contrat explicite sur leur besoin de se dire les choses de la vie dans une certaine transparence. Je les aide à y mettre de la souplesse. Un contrat sur leur besoin respectif d’être rassuré quant à leur engagement. Adeline perd du poids et reprend son travail de secrétaire. Leurs différences intellectuelles sont explorées et non plus déniées. Ils me « laisseront », me quitteront, plus conscients…

Qu’en est-il pour Dan et Florence ? : L’issue de la séparation.

41Ils ont tous les deux la quarantaine, je vais les accompagner vers la séparation. Ils sont mariés depuis vingt ans et ont trois enfants. Ils n’ont pas connu d’autre couple. Malgré une carapace émotionnelle, Dan se risque dans les séances à dire sa souffrance d’avoir été trompé par son épouse Florence. Nous ferons des « focus individuels » pour nettoyer les blessures. Dans leur situation, le tiers sexuel est déclencheur pour Florence d’un travail de différenciation et d’individuation. Elle ne peut plus envisager de continuer sa route avec son mari. Malgré les vingt années ensemble, je vais les aider à regarder qu’ils existent très peu en tant que couple. Florence s’est appuyée sur Dan jusqu’au moment où elle conscientise qu’elle est aussi une femme et que cette femme ne s’épanouit pas avec son mari. Dan a surtout travaillé à son rôle de papa et de chef de famille. En séance, Florence parle de son besoin d’avoir un espace à elle et de découvrir en particulier ses désirs sexuels. D’où la liaison extérieure. Dan la découvre dans un hôtel, en la pistant.

42Nous faisons même l’hypothèse ensemble que Florence inconsciemment souhaitait que son mari la compromette tant le scénario est digne d’un film dramatique. Le couple se sépare très vite. Florence prend un appartement avec des chambres pour les enfants et Dan garde la maison.

43En trois séances, je les accompagne sur ce fond de rupture, afin que la violence soit amortie et les enfants préservés le plus possible. Avec l’expérience, je peux vivre beaucoup mieux cette issue-là. Je n’ai pas à choisir pour eux. Nous avons juste à être là en présence et avec notre technicité de thérapeute du couple.

44Pour conclure avec Tom et Mylène, je les ai accompagnés dans leur deuil respectif de l’enfance, deuil que nous devons tous faire pour grandir, devenir adulte, entre déconstruction et reconstruction. L’évolution du couple va de l’avant, Mylène fait le deuil d’un idéal rigide du couple parfait et Tom mature dans le deuil d’un père qui n’a pas été là pour lui et d’une mère trop possessive. Leurs projets reprennent. Ils achètent un terrain et construisent une maison. Ils évoquent timidement un troisième enfant. Tom a eu peur de perdre sa femme. Il a touché à sa culpabilité. Ils deviennent un couple engagé sortant de leur adolescence attardée. Mylène lentement se relève de cette expérience difficile et prend contact avec ses désirs de femme ; dans la sexualité ils s’ouvrent l’un à l’autre, Tom apprend à attendre et à découvrir la sexualité de sa compagne. Ce couple est reparti vivant sur le chemin de sa vie. Ce travail qui a duré neuf mois a été pour moi très émouvant.

9. Quelques éléments de la posture de thérapeute du couple

45Ma posture comme thérapeute du couple change de celle dans laquelle je suis dans les thérapies individuelles. Une fois acquise une certaine technicité, elle m’est devenue très stimulante, très dynamisante. L’implication et l’engagement sont toujours aussi présents. Je me sens dans une awareness gestaltiste c’est-à-dire que je soutiens des personnes blessées, je porte et supporte en m’appuyant sur ce que ce couple me fait vivre. Je suis aussi systémicienne – j’ai un système en face de moi beaucoup plus puissant que moi-même. Il y a deux mouvements : je soutiens et je fais avancer. Je pousse. Mon rôle est à la fois d’être dans l’empathie et de réveiller les capacités d’ajustement créateur du couple. Cela va nécessiter une certaine directivité dans les constructions-déconstructions des formes tout au long de la séance.

46Mais ce qui est surtout nouveau c’est ma capacité à prendre de la hauteur, à être dans une position méta sensiblement plus confrontante. Je l’utilise parfois dans le travail individuel. Je travaille au « décalage ». C’est Jean Marie Robine qui en parle : au sein du travail individuel, mettre de la surprise là où les choses sont figées. Dans la thérapie du couple, dans la mesure où je sais que ce n’est pas moi qui vais faire figure pour avancer, je me sens dans une implication moins chargée émotionnellement. Par conséquent c’est le type de lien qui va être différent de celui que nous connaissons en thérapie individuelle. Assez rapidement, le couple va vouloir plus ou moins consciemment m’éjecter ; je vais donc apprendre à m’exclure après m’être incluse dans le système. Ainsi la dépendance nécessaire dans la thérapie individuelle fera moins figure, je ne serais pas la thérapeute « idéale » que peut rencontrer une personne en thérapie individuelle.

47La thérapie du couple pose la question des contre-transferts et de notre propre thérapie de couple. Si les contre-transferts peuvent être visités comme nos zones d’ombre, en supervision, temps incontournable, la thérapie de notre propre couple si nous sommes en couple, voire de nos couples précédents, ne peut être exigée comme elle l’est dans la formation à la thérapie individuelle. Je ne peux pas exiger de mon partenaire qu’il accepte de travailler en thérapie avec moi lorsque je veux me former à la thérapie du couple ! C’est vraiment accepter les différences. Car tenir le pari de la co-existence suppose de ne pas vivre la différence comme une menace et de renoncer aux besoins d’emprise et/ ou de fusion pour lutter contre cette menace. Être soi sans peur et vivre sa différence en respectant celle de l’autre est un chemin de différenciation. Se différencier tout en restant relié. C’est vraiment le travail et l’issue que je propose pour sortir de l’impasse des symptômes comme le tiers sexuel.

48Les situations cliniques que j’ai amenées m’ont aussi permis de soutenir le point de vue que l’amour ne peut être le seul axe de travail dans la thérapie du couple. C’était ma croyance avant de me former. Bien évidemment l’amour est nécessaire dans toute rencontre, l’attachement, une forme d’énergie que je peux sentir (ou pas) entre deux êtres. Mais l’amour ne peut suffire à éclairer la situation thérapeutique. J’essaie plutôt d’accompagner le couple à explorer le « comment il aime », comment le couple est nourri par chaque partenaire dans son mouvement vers l’autre. Et comment un(e) autre peut faire irruption dans la vie du couple et révéler ses failles.

49Dans le fond, en tant que thérapeute du couple, si j’ai un projet, c’est celui de remettre du mouvement, là où c’est figé, répétitif, appauvri et souffrant. Je ne suis pas là pour m’attacher au résultat que ce couple reste ou pas ensemble. C’est ce qui m’éprouve d’ailleurs mais c’est justement intéressant !

50A mes yeux, la thérapie du couple œuvre à l’« entre-soi », au vivre ensemble et participe à la construction collective. En tant que quinquagénaire, ce travail est juste pour moi sur le chemin de ma vie.